13 juillet 2011
Entretien avec Monsieur Niemann dans un bureau de la mairie de Marzahn.

Hier soir un message de Monsieur Niemann nous attendait sur le répondeur.
Rendez-vous ce matin à 10:00 devant la mairie de Marzahn. Monsieur Niemann a travaillé dans ces murs une dizaine d’années et notre entretien se déroule dans le bureau qui fut le sien. Ses anciens collègues, sa secrétaire, nous accueillent très aimablement. Il est ému de se retrouver ici. Il nous offre aussitôt un livre et diverses brochures concernant le quartier.
Herr Doktor Heinrich Niemann a étudié la mécanique avant de s’orienter vers la médecine sociale, ce qui l’a amené à la politique. Il fait partie de die Linke. Ainsi est-il devenu Bezirkstadtrat, puis Bezirksverordneter. On peut traduire cela par conseiller municipal, délégué, mais les responsabilités que recouvrent ces fonctions sont un peu différentes de celles d’un conseiller municipal en Suisse ou en France. Durant ses différents mandats, il a travaillé au service de la santé et au développement écologique de la ville.
Il évoque les clichés liés à Marzahn, à la D.D.R. Il raconte qu’une journaliste de la radio l’interviewant devant la mairie a introduit l’entretien en disant : nous nous trouvons devant un bâtiment gris… Or la mairie est recouverte de carreaux de faïence jaune et marron !
Nous espérons comprendre mieux le projet de société qui a présidé à la construction de la cité. Les réponses de Monsieur Niemann nous amènent à comprendre que Marzahn a été pensé non comme un quartier mais comme une véritable ville, indépendante de Berlin où les habitants trouveraient tout ce dont ils avaient besoin. Tous les milieux sociaux devaient être représentés ici, ce qui correspondait à la réalité du manque de logements dans la capitale, et avait aussi pour but de reconstituer le tissu social d’une ville. Chaque famille recevait un appartement adapté, en fonction de ses besoins. L'idéal auquel souhaitait parvenir le gouvernement en termes de logement était une pièce par habitant. Dans cette ville nouvelle, on a d’emblée réservé une large place aux espaces verts. Ainsi le Kienberg, l’Erholungspark et le long sentier de promenade qui longe la Wuhl. Même les cours d’immeubles sont noyées dans la verdure. Tilleuls, chênes, peupliers, Monsieur Niemann énumère les arbres plantés ici. La plupart poussent à l’état sauvage dans la région. Des volontaires allaient planter des arbres, des fleurs en-dehors de leurs heures de travail. Les habitants s’occupaient des jardins dans les cours de leur immeuble. Il explique qu’il a lui-même planté des arbres sur le Kienberg. Il reste profondément attaché à cette colline sur laquelle on a entassé les débris des immeubles détruits d'Alexanderplatz.

Je pose plusieurs questions sur le cimetière, dans lequel je me suis promenée à diverses reprises. Selon lui c'est un sujet intéressant. Il me montre sur la carte fixée au mur l'emplacement du camp de concentration pour les Tziganes et les Roms dont j'ai tant cherché la trace. Des soldats allemands et russes reposent dans ce cimetière, des résistants au nazisme, des victimes de bombardements. Tous sont là, explique Monsieur Niemann. Et il me raconte cette histoire concernant les ouvrières polonaises qui travaillaient pour l’usine AEG de Wedding. Dans la nuit du 3 au 4 septembre 1943, vingt jeunes femmes perdirent la vie lors d’une attaque aérienne. Elles effectuaient des travaux forcés et n’avaient pas le droit d’accéder aux abris où se réfugiaient les ouvrières allemandes pendant les bombardements. Elles devaient rester à leur poste de travail. On les enterra au cimetière de Marzahn. Le mari de l’une d’elles, un jeune homme alors, qui a survécu à la guerre se promit d’offrir une sépulture à son épouse et à ses collègues. Il lui aura fallu plus de soixante ans pour rassembler les fonds nécessaires. Depuis 2004, des monuments commémoratifs se dressent à l’emplacement de l’usine et au cimetière. Puis il s’est éteint lui aussi.
Avant de nous séparer, je demande encore pourquoi tant de gris en R.D.A ? C’était gris ? demande Monsieur Niemann. Il me regarde longuement il sourit. C’est une question pratique, économique : la peinture prend du temps, et elle n’est pas nécessaire. On avait besoin des logements au plus vite. Et cela permet de laisser voir la matérialité du bâtiment. On n’avait pas besoin d’être séduit par les couleurs, on n’attachait que peu d’importance à l’apparence des immeubles. Ce qui comptait c’était l’intérieur, le chauffage, l’eau chaude au robinet, les toilettes, les ascenseurs… Pour les gens, c’était la même chose. Ce qui comptait c’étaient les qualifications, on n’avait pas besoin de se vendre. Certains ont réussi à s’adapter à la société capitaliste après la chute du mur. D’autres non.